À la demande de l’Assemblée nationale, la Cour a établi un bilan du transfert aux régions, annoncé en 2012, de la gestion des fonds européens structurels et d’investissement (FESI), à savoir le fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp), le fonds européen de développement régional (Feder) et le fonds social européen (FSE), qui représentent près de la moitié du budget de l’Union européenne.
La mise œuvre de ce transfert s’est révélée plus complexe que prévu : celui du Feder a été concrétisé en quasi-totalité, mais le Feader et le Feamp restent, dans les faits, largement gérés par l’État. La gestion des FESI demeure par ailleurs complexe. La préparation de la programmation 2021-2027 des fonds européens doit permettre d’améliorer la coopération État-régions et de simplifier la gestion de ces fonds.
Un transfert mal anticipé et partiel
La mise en œuvre de la mesure annoncée s’est révélée plus complexe que prévu. Il s’agissait en effet de faire entrer cette décision, simple en apparence, dans un cadre juridique européen exigeant et un calendrier contraint, tout en articulant le transfert de compétences avec le maintien de certaines politiques nationales, en particulier en matière sociale et agricole.
Seul le transfert en quasi-totalité du FEDER aux régions, qui en géraient déjà une large partie par délégation auparavant, a été simple à concrétiser. Le FSE a été scindé en trois tiers : la politique de l’emploi reste l’apanage de l’État, l’inclusion sociale celui des départements2 et, la formation professionnelle et l’apprentissage relevant des régions, celles-ci sont devenues autorités de gestion en principe de 35 % des crédits du FSE (de 32 % dans les faits). Quant au FEADER, le transfert de la gestion de 90 % de ses crédits (10,3 Md€ sur 11,4 Md€) aux régions n’est qu’apparent, puisque, dans les faits, le ministère de l’agriculture conserve la maîtrise d’importants leviers de gestion : la fixation d’un cadre national, l’instruction par ses services déconcentrés des dossiers représentant environ 80 % des crédits et la gestion de facto des mesures dites surfaciques , notamment des indemnités compensatoires de handicaps naturels (46 % du FEADER). Enfin, le FEAMP, pour lequel le droit européen impose une autorité de gestion unique compte tenu de sa faible taille, reste géré par l’État, qui a toutefois délégué aux régions littorales une large partie de sa gestion.
C’est en raison de négociations fort complexes entre l’État et les régions que la loi instituant en droit français ce transfert n’est intervenue que seize mois après son annonce : la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite MAPTAM, a ainsi été votée après le début de la programmation au 1er janvier 2014. L’accord de partenariat sur les FESI entre l’Union européenne et la France n’a été signé qu’en août 2014. Les programmes opérationnels régionaux, pour le FEDER et le FSE, élaborés par les régions, nouvelles autorités de gestion, ont été signés fin 2014. Pour les programmes régionaux de développement rural, il a fallu attendre la parution du décret d’application propre au FEADER, en avril 2015, qui a institué une répartition peu lisible et complétée par des conventions tripartites entre régions, services de l’État et organisme payeur (l’agence de services et de paiement, hors Corse) : en conséquence, après l’adoption du document cadre national du FEADER en juin 2015, ces programmes régionaux n’ont pu être adoptés qu’entre août et novembre 2015. Pour le FEDER, le FSE et le FEAMP s’est ajouté le processus, également long, de la désignation formelle des autorités de gestion.
Les transferts d’effectifs entre l’État et les régions ont fait l’objet, en particulier pour le FSE et le FEADER, de négociations longues et difficiles, qui se sont soldées par le transfert d’un nombre forfaitaire d’emplois insuffisant. Dans les faits, nombre d’emplois transférés étaient vacants, conduisant certes à des compensations financières de l’État, mais aussi à une perte d’expertise au détriment des régions. Celles-ci ont dû recruter.
Enfin, les systèmes d’information et de gestion, qui relèvent de la compétence de l’État, n’ont pas été adaptés au transfert de la gestion des FESI aux régions. Ils jouent un rôle important dans la gestion des FESI : ils sont à la fois cause et conséquence des difficultés du transfert de l’autorité de gestion. Dans l’ensemble, la conduite de projet des trois principaux systèmes d’information des FESI, Isis et Osiris pour le FEADER et Synergie pour le FEDER et le FSE, a été défaillante. Des audits ont permis de rectifier les trajectoires : ainsi, Synergie et Isis sont désormais, malgré un grand retard et des défauts persistants, à peu près fonctionnels. Tel n’est pas le cas d’Osiris, dont les dysfonctionnements contribuent à paralyser la gestion des mesures non surfaciques du FEADER et celle du FEAMP : son remplacement apparaît indispensable en vue de la future programmation.
La Cour formule sept recommandations en ce sens.
1. Préparer les systèmes d’information à la prochaine programmation, en particulier en remplaçant Osiris et en interfaçant tous les systèmes d’information des FESI avec ceux des autorités de gestion et de la Commission européenne, afin de permettre les échanges de données nécessaires au pilotage et au suivi.
2. Présenter, à l’occasion des débats d’orientation budgétaire des régions, les flux financiers concernant les fonds européens, en distinguant chaque programmation.
3. Sanctuariser la trésorerie du FEDER et du FSE en début de programmation.
4. Rationaliser l’organisation de la gestion et la programmation des fonds, pour en améliorer l’efficience :
- en réduisant le nombre de programmes, notamment par la mise en cohérence du périmètre de ceux-ci avec la nouvelle carte des régions ;
- en fixant des priorités d’emploi des fonds européens en petit nombre et en limitant le nombre de mesures, après avoir mené une réflexion sur l’effet incitatif des aides, notamment pour les fonds distribuant beaucoup d’aides de petit montant ;
- en fixant des seuils d’aide, pour minimiser les coûts de gestion, tout en orientant les dossiers de faible montant vers des aides nationales ou régionales.
5. Encourager la création de portails ou de guichets communs à l’État et aux régions et, chaque fois que possible, mutualiser l’instruction des dossiers.
6. Faire évoluer l’architecture de gestion du FEADER selon l’un des trois scénarios suivants : confier l’autorité de gestion exclusivement à l’État ; ou améliorer le statu quo en simplifiant le cadre national ; ou réunir sous l’égide de l’État la gestion de l’ensemble des mesures surfaciques (calculées en fonction de la surface de l’exploitation agricole) de la politique agricole commune.
7. Tirer parti, dans la préparation de la future programmation des fonds européens, des possibilités de simplification ouvertes par la Commission européenne dans sa proposition de règlement européen portant les dispositions communes relatives aux FESI de la programmation 2021-2027 (simplification financière, allégement des contrôles et des audits, reconduction des autorités de gestion et des systèmes existants)
Cour des comptes - Rapport complet - 2019-05-22
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