Quarante ans après les premières lois de décentralisation, la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes ont souhaité dresser un état des lieux de la situation actuelle et confronter les ambitions initiales de la décentralisation à ses résultats sur le terrain, en termes de services rendus à la population et aux entreprises.
Les juridictions financières ont ainsi cherché à illustrer leur analyse institutionnelle et financière de la décentralisation par des exemples concrets, tirés de l’examen de sa mise en œuvre dans quelques domaines d’action publique partagée entre l’État et les collectivités territoriales.
Au terme de cette analyse, il apparaît que les deux premières phases de la décentralisation, de 1982 à 1986 (acte I), puis en 2003 et 2004 (acte II), se sont effectivement traduites par d’importants transferts de compétences et la consécration dans la Constitution des grands principes de la décentralisation.
Cependant, notre pays reste encore marqué par une forte tradition centralisatrice qui s’incarne dans la moindre proportion, au regard de nos voisins, des dépenses publiques locales au sein du PIB, même si celle-ci a fortement augmenté, et dans l’intervention persistante de l’État dans de nombreux domaines de l’action publique, en dépit de la réduction des moyens humains qu’il déploie dans les territoires.
Plusieurs lois sont intervenues depuis 2010, mais l’objectif un temps évoqué de réaliser un « acte III » de la décentralisation, marqué par de nouveaux transferts de compétences, ne s’est finalement pas concrétisé : l’absence de vision consensuelle entre les différents acteurs, l’État comme les différentes catégories de collectivités territoriales et de groupements de communes, n’a pas permis de créer les conditions nécessaires pour progresser dans l’approfondissement de la décentralisation.
Le processus législatif mené depuis 2010 au gré des opportunités et des circonstances a ainsi souffert d’hésitations, de renoncements et de retours en arrière qui ne permettent pas d’en discerner la cohérence d’ensemble. La mise en place des grandes régions a par exemple compromis l’objectif, retenu dans la loi NOTRé du 7 août 2015, d’une dévitalisation progressive du département, au profit des régions et des métropoles.
La France n’est jamais parvenue à régler de manière satisfaisante la question du maintien d’un très grand nombre de petites communes.
Du fait de la clause de compétence générale, ces collectivités auxquelles nos concitoyens restent attachés peuvent intervenir dans tous les domaines, alors qu’elles ne disposent pas des moyens et de l’expertise techniques pour répondre seules aux défis sociaux et environnementaux auxquels elles doivent faire face. Les formes de groupements de communes se sont certes multipliées et diversifiées pour prendre en charge de très nombreux services, mais sans que les communes diminuent pour autant le niveau de leurs interventions.
En définitive, la situation actuelle se caractérise par une forte intrication des compétences entre un trop grand nombre de niveaux de gestion locale.
Cette situation, qui impose la mise en œuvre de mécanismes de coordination complexes, coûteux et souvent insuffisamment efficaces, ne permet pas de s’assurer de l’efficience globale des interventions des acteurs et nuit à la lisibilité de cette organisation par nos concitoyens. Elle ne favorise pas non plus la prise en compte des nouveaux enjeux du développement durable, qui doivent être appréhendés à des échelles géographiques qui ne coïncident pas avec la carte des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État et nécessitent de mobiliser des compétences techniques nouvelles, dont les acteurs locaux sont en partie dépourvus.
La décentralisation s’est également traduite par une sensible augmentation du poids des dépenses locales dans le produit intérieur brut (passé de 8 % en 1980 à plus de 11 % aujourd’hui), sans qu’il soit possible de distinguer la part de cette progression qui a procédé des transferts de compétences entre l’État et les collectivités territoriales, celle qui a résulté des décisions prises par les régions, les départements, les communes et leurs groupements pour améliorer les services rendus à la population et aux entreprises et celle qui s’explique par des choix d’organisation ou de gestion insuffisamment économes.
Parallèlement, l’organisation des services de l’État n’a pas été adaptée pour tenir compte de l’évolution de la carte et des compétences des collectivités territoriales.
La mise en place des grandes régions, puis la réaffirmation des départements comme espace naturel d’action entre ces nouvelles collectivités et les groupements de communes, ont déstabilisé les deux modes d’organisation des services déconcentrés de l’État qui, dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), avaient été instaurés aux niveaux régional et départemental. Par ailleurs le choix fait par l’État de faire peser les réductions d’effectifs sur ses services déconcentrés plutôt que sur les administrations centrales des ministères a contribué au désarmement des services techniques et à l’affaiblissement du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire.
Enfin l’évolution de la répartition des ressources des collectivités territoriales, marquée notamment par la suppression d’impôts locaux et leur remplacement par des parts d’impôts nationaux, a distendu le lien entre contributions aux charges publiques locales et services publics rendus aux usagers. Le financement des collectivités territoriales repose également sur des dotations de l’État dont les effets péréquateurs, indispensables pour réduire les inégalités de ressources et de charges entre collectivités territoriales, sont insuffisants.
Ces constats dessinent un panorama d’ensemble insuffisamment propice à l’efficience de la gestion publique locale, à la responsabilisation des acteurs et à l’intelligibilité de la décentralisation.
Cette situation n’est ni satisfaisante ni durable. Dans un contexte marqué par l’obligation d’assurer le redressement des comptes publics, auquel les collectivités territoriales et les groupements de communes doivent contribuer, et par la nécessité de rétablir un lien de proximité et de confiance entre le citoyen et le décideur, la tentation de l’immobilisme doit être surmontée.
Dans l’attente d’un exercice, sans doute nécessaire mais difficile à mettre en œuvre à court terme, de révision du partage des compétences entre l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales, dicté par le souci de simplifier le système et responsabiliser les acteurs, il est nécessaire d’activer l’ensemble des leviers disponibles pour approfondir la coopération intercommunale, poursuivre la réduction du nombre de trop petites communes, et renforcer le rôle des collectivités cheffes de file de politiques associant un grand nombre d’intervenants.
De même, il faut s’attacher à adapter l’organisation et les modalités de gestion des collectivités territoriales à la diversité des situations locales en recourant davantage aux possibilités de différenciation territoriale et d’expérimentation.
Il s’agit, en somme, de remettre en cohérence l’organisation territoriale, de donner aux acteurs locaux les moyens de mener, dans leurs domaines de compétences, des politiques locales plus efficaces et plus efficientes et, comme le législateur l’avait souhaité lors de la discussion des grandes lois de décentralisation des années 1982 et 1983, de rapprocher l’administration des administrés.
Cour des comptes >> Rapport
Synthèses
Cour de discipline budgétaire et financière - Rapport d’activité 2023
La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) publie son rapport d’activité, annexé au rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes.
CDBF >> Rapport
Les juridictions financières ont ainsi cherché à illustrer leur analyse institutionnelle et financière de la décentralisation par des exemples concrets, tirés de l’examen de sa mise en œuvre dans quelques domaines d’action publique partagée entre l’État et les collectivités territoriales.
Au terme de cette analyse, il apparaît que les deux premières phases de la décentralisation, de 1982 à 1986 (acte I), puis en 2003 et 2004 (acte II), se sont effectivement traduites par d’importants transferts de compétences et la consécration dans la Constitution des grands principes de la décentralisation.
Cependant, notre pays reste encore marqué par une forte tradition centralisatrice qui s’incarne dans la moindre proportion, au regard de nos voisins, des dépenses publiques locales au sein du PIB, même si celle-ci a fortement augmenté, et dans l’intervention persistante de l’État dans de nombreux domaines de l’action publique, en dépit de la réduction des moyens humains qu’il déploie dans les territoires.
Plusieurs lois sont intervenues depuis 2010, mais l’objectif un temps évoqué de réaliser un « acte III » de la décentralisation, marqué par de nouveaux transferts de compétences, ne s’est finalement pas concrétisé : l’absence de vision consensuelle entre les différents acteurs, l’État comme les différentes catégories de collectivités territoriales et de groupements de communes, n’a pas permis de créer les conditions nécessaires pour progresser dans l’approfondissement de la décentralisation.
Le processus législatif mené depuis 2010 au gré des opportunités et des circonstances a ainsi souffert d’hésitations, de renoncements et de retours en arrière qui ne permettent pas d’en discerner la cohérence d’ensemble. La mise en place des grandes régions a par exemple compromis l’objectif, retenu dans la loi NOTRé du 7 août 2015, d’une dévitalisation progressive du département, au profit des régions et des métropoles.
La France n’est jamais parvenue à régler de manière satisfaisante la question du maintien d’un très grand nombre de petites communes.
Du fait de la clause de compétence générale, ces collectivités auxquelles nos concitoyens restent attachés peuvent intervenir dans tous les domaines, alors qu’elles ne disposent pas des moyens et de l’expertise techniques pour répondre seules aux défis sociaux et environnementaux auxquels elles doivent faire face. Les formes de groupements de communes se sont certes multipliées et diversifiées pour prendre en charge de très nombreux services, mais sans que les communes diminuent pour autant le niveau de leurs interventions.
En définitive, la situation actuelle se caractérise par une forte intrication des compétences entre un trop grand nombre de niveaux de gestion locale.
Cette situation, qui impose la mise en œuvre de mécanismes de coordination complexes, coûteux et souvent insuffisamment efficaces, ne permet pas de s’assurer de l’efficience globale des interventions des acteurs et nuit à la lisibilité de cette organisation par nos concitoyens. Elle ne favorise pas non plus la prise en compte des nouveaux enjeux du développement durable, qui doivent être appréhendés à des échelles géographiques qui ne coïncident pas avec la carte des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État et nécessitent de mobiliser des compétences techniques nouvelles, dont les acteurs locaux sont en partie dépourvus.
La décentralisation s’est également traduite par une sensible augmentation du poids des dépenses locales dans le produit intérieur brut (passé de 8 % en 1980 à plus de 11 % aujourd’hui), sans qu’il soit possible de distinguer la part de cette progression qui a procédé des transferts de compétences entre l’État et les collectivités territoriales, celle qui a résulté des décisions prises par les régions, les départements, les communes et leurs groupements pour améliorer les services rendus à la population et aux entreprises et celle qui s’explique par des choix d’organisation ou de gestion insuffisamment économes.
Parallèlement, l’organisation des services de l’État n’a pas été adaptée pour tenir compte de l’évolution de la carte et des compétences des collectivités territoriales.
La mise en place des grandes régions, puis la réaffirmation des départements comme espace naturel d’action entre ces nouvelles collectivités et les groupements de communes, ont déstabilisé les deux modes d’organisation des services déconcentrés de l’État qui, dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), avaient été instaurés aux niveaux régional et départemental. Par ailleurs le choix fait par l’État de faire peser les réductions d’effectifs sur ses services déconcentrés plutôt que sur les administrations centrales des ministères a contribué au désarmement des services techniques et à l’affaiblissement du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire.
Enfin l’évolution de la répartition des ressources des collectivités territoriales, marquée notamment par la suppression d’impôts locaux et leur remplacement par des parts d’impôts nationaux, a distendu le lien entre contributions aux charges publiques locales et services publics rendus aux usagers. Le financement des collectivités territoriales repose également sur des dotations de l’État dont les effets péréquateurs, indispensables pour réduire les inégalités de ressources et de charges entre collectivités territoriales, sont insuffisants.
Ces constats dessinent un panorama d’ensemble insuffisamment propice à l’efficience de la gestion publique locale, à la responsabilisation des acteurs et à l’intelligibilité de la décentralisation.
Cette situation n’est ni satisfaisante ni durable. Dans un contexte marqué par l’obligation d’assurer le redressement des comptes publics, auquel les collectivités territoriales et les groupements de communes doivent contribuer, et par la nécessité de rétablir un lien de proximité et de confiance entre le citoyen et le décideur, la tentation de l’immobilisme doit être surmontée.
Dans l’attente d’un exercice, sans doute nécessaire mais difficile à mettre en œuvre à court terme, de révision du partage des compétences entre l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales, dicté par le souci de simplifier le système et responsabiliser les acteurs, il est nécessaire d’activer l’ensemble des leviers disponibles pour approfondir la coopération intercommunale, poursuivre la réduction du nombre de trop petites communes, et renforcer le rôle des collectivités cheffes de file de politiques associant un grand nombre d’intervenants.
De même, il faut s’attacher à adapter l’organisation et les modalités de gestion des collectivités territoriales à la diversité des situations locales en recourant davantage aux possibilités de différenciation territoriale et d’expérimentation.
Il s’agit, en somme, de remettre en cohérence l’organisation territoriale, de donner aux acteurs locaux les moyens de mener, dans leurs domaines de compétences, des politiques locales plus efficaces et plus efficientes et, comme le législateur l’avait souhaité lors de la discussion des grandes lois de décentralisation des années 1982 et 1983, de rapprocher l’administration des administrés.
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Synthèses
Cour de discipline budgétaire et financière - Rapport d’activité 2023
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